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Photo du rédacteurMarjo R. Cosyra

En quête d'autonomie - témoignage handicap



L’autonomie, la faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d'agir librement, c’est une recherche d'indépendance, de n'être tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel. C’est vouloir agir librement, selon ses choix et pour soi. L’autonomie, d'après moi, c’est une quête, une discipline à pratiquer au quotidien.. À 16 ans on bataille contre et avec les parents et les professionnels qui gravitent autour de nous pour obtenir cette sacro-sainte autonomie, mais une fois adulte, on réalise que cette autonomie n’est finalement jamais réellement acquise.


I. Présentation

Bonjour à tous, j’espère que vous allez bien. Je suis très heureuse d’être parmi vous et de pouvoir apporter à cette journée pédagogique mon témoignage.

Tout d’abord, je vais me présenter : je suis Marjolaine, j’ai 28 ans, et je vis à Beauvais avec mon compagnon, mes deux chats et mon chien (de compagnie, entendons-nous bien).

Je suis déficiente visuelle (croyez-moi ou non, au premier jet de ce témoignage j’avais oublié de le mentionner) et pour être un peu plus précise, je perçois la lumière à gauche et j’ai 1/20 de l’autre côté.

Je fais des vidéos sur YouTube sous le nom Un autre regard depuis octobre 2017 pour parler de handicap et j’ai suivi, cette année, la formation d’intervenant pair EPOP, EPOP n’étant en rien une formation de danse mais l’abréviation d’Empowerment and Participation OF Person with disability, que nous pouvons traduire en Pouvoir d’agir et participation des personnes handicapées.



J’ai fait mon école maternelle et primaire dans le quartier de mes parents, à Beauvais (Oise), en milieu dit ordinaire, mes parents et les enseignants étant accompagnés des professionnels du Service d’Education Spécialisée et de Soins À Domicile - Service d’Aide et d’Inclusion des Déficients Visuels d’Agnetz (Oise) qui a largement contribué à mon bien être scolaire.

Pour le collège, j’ai quitté Beauvais pour rejoindre le Collège Jean Fernel de Clermont (Oise) qui bénéficiait d’une Unité Pédagogique d’insertion, (UPI) maintenant appelée Unité Locale d’Inclusion Scolaire (Ulis). J’y ai fait mes quatre ans de collège dans des conditions idéales.

Mon Brevet des collèges en proche, je suis revenue sur Beauvais pour intégrer une seconde générale au lycée Félix Faure. Cette année de retour à Beauvais n’a pas été une réussite. Passer du cocon de l’UPI où tout est pensé pour les élèves déficients visuels au lycée en milieu dit ordinaire où il fallait tout construire avec le corps enseignant, voir l’éduquer, ne m’a pas vraiment convenu, la transition était rude.

Il a donc été décidé, d’un commun accord entre les parents, les enseignants et moi-même, de redoubler pour intégrer une seconde en Maison Familiale et Rurale à Sinat-Sulpice (Oise) afin de préparer un BAC pro agricole dans l’élevage des chevaux. Parce que oui, ma passion number one toutes catégories est bien évidemment les chevaux.

J’ai donc alterné cours à la MFR et stages dans diverses structures équestre pendant deux ans, m'abreuvant de savoir et de connaissances autour du cheval et de la pratique de l’équitation avant d’entamer ma Terminale à la MFR de Songeons (60) où j’ai tout lâché 6 mois avant l’épreuve fatidique du BAC.

Huyez-moi, je comprendrais tant le baccalauréat semble être le pilier d’une vié professionnelle épanouie pour beaucoup ; mais je mets quiconque au défi de suivre des cours de compta ou d’agroéquipement sans adaptation et j’en passe … Désolée de vous décevoir, mais mon handicap ne m'octroie pas de pouvoirs magiques et la fatigue et le ras-le-bol ont eu raison de moi.

Le problème venait t-il de moi ? Des enseignants ? Ou que sais-je… Je dirais plutôt que ça a été un raté général et que mon côté je-n’ai-besoin-de-rien-ni-personne-pour-réussir n’a pas aidé du tout.

Et oui je faisais partie de ces incompris refusant toute adaptation. J’ai pourtant connu, par exemple, les ouvrages scolaires agrandis qui alourdissent le cartable déjà trop lourd ; le télé-agrandisseur au bruit blanc insuportable ; l’ordinateur portable qui nous met, quand comme moi on n’utilise pas NVDA et cie, dans une position inconfortable ; le mimio, bien praitque, mais faut-il encore que les profs aient le réflex d’utiliser les bon stylos, etc. Mais avant tout, ce refus des adaptations et des aménagements, c’est une recherche de la normalité, de la discrétion… Je suis une élève comme tout le monde, je m’adapte et je fais comme mes camarades, je me fond dans le décor.


Me voilà donc descolarisée avec, en poche, mon Brevet des collèges et une certification BEPA an activité d’élevage, diplôme aujourd’hui caduque. Je vais donc errer de projet en projet en cherchant ma voie pour finalement me lancer sur YouTube, jusqu'à aujourd'hui me retrouver devant vous.


II. La vision de l’autonomie et sa quête en tant qu’enfant et ado

En primaire, pour moi, le comble de l’autonomie était de rentrer à pied à la maison après les cours et ainsi ne plus aller au périscolaire. Ce trajet qui dure 15 minutes et ne représente pas de danger majeur, le quartier est pavillonnaire et calme. Pour convaincre mes parents de ma capacité à rentrer seule, j’ai d’abord fait le trajet accompagné par un parent d’élève voisin, puis j’ai travaillé avec une instructrice en locomotion.

À l'époque, je ne comprenais rien à la locomotion, à son but. Je trouvais ça stupide et j’avais l’impression d’être la première des idiotes à attendre que le feu passe au vert alors que la route était vide de toute voiture… et la honte devant les copains et les copines de rentrer avec une adulte pot de colle !!!

Bien évidemment, à l’époque, il ne fallait surtout pas me parler de canne blanche ! Moi, une canne blanche ?! Pffff, je ne suis pas aveugle !

En tout cas, pour mon année de CM2 j’ai atteint le Saint Graal : le droit de pouvoir rentrer toute seule pour faire mes devoirs à la maison… ou pour manger des Pépito devant Disney Chanel, au choix …

Même si je réclamais cette autonomie de me déplacer de l’école à la maison seule, j’avais une peur bleue des transports en commun qui auraient pu m’offrir encore plus d’autonomie : peur de ne pas réussir à m'orienter, de ne pas trouver de l’aide en cas de besoin, etc. À l’époque, je ne comprenais pas tous les fondements de cette peur que je cachais derrière un simple « je préfère marcher » et ce n’est que depuis 2 ans que je prends les transports en commun sereinement.


Mon autonomie était donc piétonne, mais arrivé au collège, à ½h de chez moi, il à bien fallu trouver une solution… les transports scolaires adaptés.

En soit, aux yeux de mes camarades de classe, je venais en taxi et c’était trop bien de ne pas dépendre des autocars scolaires, ça devait donner une impression d’autonomie. Dans les faits, ça cassait l’autonomie à sa racine car je n’avais aucun mot à dire. : chaque jour, les mêmes horaires, la même voiture, le même trajet, pas besoin de réfléchir, ni de prendre de décision…

Ces fichus transports ont été ma hantise durant tout le collège, surtout en 6e et 5e, disons que la compagnie de transport était… Catastrophique et qu’il était courant d’être oublié à la fin de journée.


Dans un autre registre, au SESSAD je participais à un atelier cuisine : nous faisions des menus, les courses, la cuisine et nous mangions sur place. Ce savoir acquis durant ces ateliers, je ne l’ai jamais utilisé à la maison car la cuisine n’était pas adaptée et qu’on ne me laissait pas faire…


L’autonomie en tant qu’enfant et adolescent, c’est compliqué surtout que le handicap nous rend (ça m'arrache la bouche) vulnérables et que les proches, voir les professionnels, nous surprotègent. Comment gagner en autonomie si cuisiner à la maison est dangereux, inadapté ? Comment gagner en autonomie dans les déplacements si, malgré les cours de locutions, quand on va à l’Univers du livre on ne fait que suivre bêtement ses parents qui traversent n’importe où et n’importe comment parce que eux, ils voient ?

L’autonomie des enfants se gagne en travaillant avec les parents. On peut faire acquérir aux enfants et aux adolescents plein de connaissances, de réflexes, de bonnes pratiques, s'ils ne peuvent pas les mettre en application à la maison ça ne sert à rien...


III. Une vie de jeune adulte (presque) autonome

Quand j’échange avec des adolescents déficients visuels, ce qui revient souvent c’est la question du logement. Pour eux, vivre chez soi c’est être autonome, et en soit ce n’est pas faux. Mais je pense qu’il faut bien faire la différence entre l’autonomie à la maison et l’autonomie dans la vie de tous les jours, et cette différence on n’en a pas forcément conscience quand on est plus jeune.

Par exemple, du haut de mes 28 ans je peux dire que je suis autonome chez moi. Je sais garder ma maison propre, cuisiner, faire mon linge, changer une ampoule, siphonner un éviter, etc. Cette autonomie, je l’ai acquise grâce à mes 2 ans ½ d’internat en MFR car, en MFR, les élèves sont responsables de la bonne tenue des chambres, des salles de bain, de la salle de classe, etc. Autrement dit, quand j’ai eu mon premier studio, j’étais déjà armé. Par contre, je n’avais aucune autonomie en dehors de chez moi, dans le quotidien.

Pour contextualiser, mes premiers logements étaient sur des exploitations agricoles et qui dit exploitation agricole dit vie rurale et isolement. À cette époque, par exemple, je ne pouvais pas faire mes courses. Il fallait au minimum me déposer dans un supermarché et je prenais toujours les mêmes produits à défaut de pouvoir lire les étiquettes, les prix. Si je devais me rendre à la Poste, je devais demander à quelqu’un. Si je voulais me rendre chez des amis, je devais demander à quelqu’un, etc. J’étais, et je le suis toujours, celle qu’il faut véhiculer, qu'il faut venir chercher et déposer ici et là, comme une éternelle ado.

Ce qui soulève une autre question qui m’a souvent empêché de dormir : est-ce le rôle de mes amis de faire le taxi pour ma petite personne ?

En tout cas, cette autonomie-là, en dehors de chez moi, je ne l’avais absolument pas et aujourd’hui, du haut de mes 28 ans, j’en ressens encore les lacunes.

Je ne fais jamais les courses seules, j’y vais toujours avec mon compagnon. J’ai peur d’y perdre beaucoup trop de temps, je ne peux pas lire les étiquettes, je ne peux pas comparer les prix, j’ai peur de bloquer ma carte bleue (les terminaux de paiements sont mes bêtes noires !)... Quand j’ai le courage d’aller seule acheter une Mozzarella et 3 tomates je répète dans ma tête que c’est une mini-victoire-du-quotidein et que c’est bien. La vérité c’est que c’est tout de même un peu ridicule, non ?

C’est comme me rendre dans une boulangerie : comment savoir si le vendeur me parle à moi et pas à un autre client ? Ça serait la honte de répondre alors qu’il ne s’adresse pas à moi ! #ÇaMArriveTropSouvent

Bref, j’ai une tonne de blocages de ce genre qui n’ont pas lieu d’être et qui ne serait sans doute pas là si, plus jeune, on m’avait laissé faire plus de choses par moi-même sans être sûr-protégée.

C’est pour ça qu’à mon sens, il faut apprendre et chercher l’autonomie dans le foyer, mais pas que. Il me semble aussi primordial de donner aux jeunes déficients visuels, dans le cadre familial, des responsabilités. Pas forcément des choses incroyables, mais tout simplement aller chercher le pain seul, dans la limite du possible, par exemple. Il faut aussi encourager les prises d'initiatives, sans chercher systématiquement à freiner cette envie d’autonomie sous prétexte que ça peut être dangereux ; et si on proposait des solutions d’adaptation à la place de dire non ?


IV. Ma vie aujourd’hui, mon autonomie

Si je devais qualifier mon autonomie aujourd’hui en un mot, je dirais clairsemée. Comme je viens de le dire, j’ai ce sentiment d’avoir de grosses lacunes en autonomie dû, principalement, à un manque de confiance en moi et à la recherche de la facilité.

En discutant avec d’autres déficients visuels vivant en ville, j’ai souvent l’impression d’avoir 6 trains de retard sur mon autonomie. Quand je pense que certains prennent le métro parisien régulièrement seuls, je ne peux qu’être admirative et un peu envieuse de l’autonomie de mes pairs et j’aime donc comprendre comment ils ont acquis cette autonomie.

Et souvent, il n’y a pas de grands secrets : il y a des habitudes, des trajets répétés encore et encore pour se rendre au travail, à l’école des enfants, à son supermarché préféré. Tout est rôdé à la perfection et certains sont incapables de sortir de leurs trajets habituels sans perdre tout repère. Pour d’autres, derrière cette autonomie que j’admire se cachent des trajets en Uber et taxis plus que réguliers.

Je regarde ensuite ma propre autonomie, ce qu’elle est, ses forces et ses faiblesses et je me dis que le plus important dans cette quête est de trouver celle qui nous convient, avec nos moyens, nos spécificités et nos attentes.


V. L’autonomie a-t-elle un coût ?

Durant le processus d’écriture de ce témoignage, que je suis heureuse de partager avec vous, je me suis fais la réflexion que l’autonomie, finalement, quand on est déficient visuel, elle a un réel coût.

• Le coût d’avoir le temps : le temps de faire son ménage sur 2h pour 40m2 alors qu’un voyant mettrait moitié moins de temps ; le temps de pouvoir repérer certains trajets en amont de certains déplacements ; le temps de faire 2h de trajet quand il ne faut que 45 minutes en voiture, et j’en passe ;

• Le coût d’avoir un entourage présent pour aider à faire du repérage, à accompagner pour les courses, à aider pour l’administratif, pour guider durant un footing, etc.

Le coût financier quand il faut une aide ménagère, quand il faut prendre un taxi, quand il faut se faire livrer les courses, etc.

• Le coût de se loger proches des commodités d’être dépendant de cela et donc, par défaut, de ne pas réellement choisir notre lieu de vie (RIP mon rêve d’une maison à la campagne avec les chevaux dans le jardin).


Je sais déjà que certains penseront que les Prestations de Compensation du Handicap, voir l’Allocation aux Adultes Handicapés, sont fait pour cela et mon but n’est absolument pas de lancer un débat, mais prenons tous conscience que l’autonomie, dans le cadre du handicap, a un coût et qu’à ce titre nous ne pouvons pas tous développer la même autonomie et qu’il n’y aucune autonomie universelle.

À ce titre, il faut pouvoir proposer aux jeunes déficients visuels la boîte à outils la plus complète possible afin qu’ils puissent toujours trouver une solution à n’importe qu’elle problème lié à l’autonomie qu’ils pourront rencontrer au cours de leur vie.


Du haut de mes 28 ans, je travaille encore à acquérir plus d’autonomie, à remporter plus de mini-victoires-du-quotidien, car ce sont les petits gestes, les petites réussites ici et là qui font les grands changements et qui font avancer vers cette sacro-sainte autonomie que finalement, tout le monde convoite, handicap ou non.


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